dimanche 21 août 2011

[Archive] La fin de l'angélisme?

Article publié à l'origine le 03/06/2011 sur Gamekult. Il est publié sous sa forme originale, la mise en forme n'est pas adaptée entièrement aux standards de ce blog.



Je revois Lionel Jospin à la suite du 21 avril 2002, dire qu'il a pêché par naïveté, qu'il pensait qu'en réglant les problèmes sociaux il réglerait de facto les problèmes d'insécurité. Cette idéologie de gauche, qui veut que la condition sociale explique, et souvent excuse, ce que l'on appelle pudiquement les incivilités était en train de voler en éclats. Presque dix ans après, qu'est-ce qui a vraiment changé? 


Il semblerait que le thème de l'insécurité soit malheureusement une nouvelle fois au centre de la campagne présidentielle, et je dis bien malheureusement car une société moderne et dite démocratique ne devrait pas avoir à placer de tels débats sur la plus haute marche du podium. Nous devrions êtres à fond dans la lutte contre le chômage, l'avenir de l'enseignement et de la recherche, les énergies alternatives, etc. Alors pourquoi est-ce qu'au jour d'aujourd'hui nous en sommes là? Pourquoi le Maire de Sevran évoque-t-il, à raison, l'envoi de casques bleus dans sa ville? Une ville où les règlements de comptes à la Kalachnikov sont quotidiens a-t-elle besoin de maintien de la paix? Est-ils logique que nous défendions la liberté de personnes en Côte d'Ivoire ou en Afghanistan mais que nous laissions nos propres concitoyens livrés à eux-mêmes? 

Si je n'ai pas envie de relancer le débat de la présence de l'armée dans nos banlieues, parce qu'on en est plus là, force est de constater que l'idée a fait son chemin, aussi bien par l'extrême-droite que par la droite en passant par Ségolène Royal. Plutôt que de parler de solutions, car ce n'est pas mon rôle, mais celui des candidats qui font un tour de piste pour nous convaincre en vue de 2012, je peux toujours évoquer les causes, ou plutôt les non-causes. Il n'est pas très loin le temps ou Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, proposait de passer toutes ces zones de non-droit au Karsher. Le début d'une longue campagne de communication et de gesticulation puisque dix ans après non seulement rien n'a changé, mais tout a empiré. 

Nous commentons avec ironie la situation du Brésil dont les favelas sont gangrénées par les guerres de gangs et les interventions musclées des forces de l'ordre, mais comment décrire ce qui se passe en France? Les règlements de comptes incessants à Marseille, les fusillades aux abords des écoles, les guerres de territoires, ah il est loin le temps où Claude Guéant rêvait de patrouilles de deux CRS. Aujourd'hui leurs syndicats réclament au minimum des équipes de trente hommes. Oui, là où dans n'importe quel autre pays du monde la police est respectée ou tout du moins crainte, ici nous devons envoyer de véritables bataillons pour tenter de minimiser au maximum les blessés côté police. Nos forces de l'ordre sont complètement désarmées au sens propre comme au sens figuré. Comment pourrait-il en être autrement alors que la simple "bavure" - comprenez par là un accident de la route alors que les forces de l'ordre poursuivent des jeunes sans permis sur des motos non homologuées - se traduit par des émeutes et mise en examens des fonctionnaires. 

Comment pourrait-il en être autrement alors que le simple fait d'approcher leur main de leur arme leur vaut de devoir remplir trois rapports en double exemplaire. Comment pourrait-il en être autrement alors que la justice les remet en liberté après vingt-quatre heures? Pour faire simple, tout est évaluation des risques. Comme dans tout, on compare ce que l'on risque à ce que l'on gagne. Risquer quelques mois derrière les barreaux n'est rien du tout comparé aux centaines de milliers d'Euros que rapporte le juteux trafic de drogue. La seine Saint Denis recense officiellement 350 Ferrari, très bizarre pour un département sinistré mais qui dispose aussi paradoxalement d'énormément subventions de l'état. Pas si paradoxal que ça étant donné la couverture médiatique. Car là est l'autre injustice: la Seine Saint Denis est bien plus aidée que la plupart des autres départements/villes de province. Et pourtant les autres départements ne peuvent se targuer d'un tel nombre de Ferrari au mètre carré. Pire, les autres départements n'ont pas les mêmes chiffres de délinquance. Et là toute la théorie de causalité entre pauvreté et délinquance vole en éclats. 


Cette théorie est d'ailleurs d'une malhonnêteté intellectuelle crasse. Toute la vie consciente humaine n'est, d'après les théoriciens boboïstes, que le reflet des structures socio-économiques, les seules responsables du comportement humain. Les violences dont se plaint la société ne sont pas de la responsabilité des auteurs visibles, victimes injustes, selon ces théoriciens, mais de celle de la société injuste. Tant que cette société ne fournira pas un niveau de vie qui produit automatiquement, mécaniquement - comme le miroir produit un reflet, un comportement bourgeois, "civilisé" ou prétendu tel - elle sera responsable des violences dont elle se plaint à tort en rejetant la faute sur les auteurs de telles violences. Ce discours "scientifique", profond, qui prétend nous dévoiler les mécanismes profonds, inconscients de notre être et qui prétend aller à la source des choses, n'entre pas dans les oreilles des sourds quand il est distribué par des intellos qui tiennent le haut du pavé parisien. 

Les jeunes de banlieues comme on dit, même s'ils n'ont pas terminé leur cursus scolaire, ont bien assimilé le message qui les déresponsabilise d'avance de leurs actes. Ils ont compris qu'ils ont des défenseurs, des avocats qui leur assure une impunité presque totale. Le seul ennui c'est que ces théoriciens qui jouent à la générosité ne fixent pas un niveau chiffré du revenu à partir duquel l'homme, pur reflet des structures économiques, s'abstiendrait des incivilités, des délits, des crimes etc. Mais le jour même où ils auraient le courage de nous dire le fond de leur pensée, ils auraient encore à nous expliquer pourquoi un DSK qui ne manque pas de niveau de vie se serait comporté d'une manière si édifiante, et pourquoi tant de criminels se trouvent dans les rangs de ceux qui, selon le dogme marxiste, auraient dû se conduire comme des saints, d'après leur niveau socio-humano-économique. 

Christian Blanc, Eric Woerth, Michèle Alliot-Marie, Georges Tron, voilà des hommes et des femmes qui n'étaient pas dans le besoin. Dommage pour cette théorie. En disant cela on est accusé de faire le jeu des extrêmes. Je pense qu'en ne le disant pas on le fait davantage. D'ailleurs si les extrêmes disent que le ciel est bleu et que je dis pareil, je fais aussi le jeu des extrêmes. Sauf que le ciel est vraiment bleu et que ce serait malhonnête intellectuellement de dire le contraire. On peut aussi choisir de tous se mettre autour d'une table et décider que notre système intégrationniste est en panne, cela n'a rien de honteux. On peut considérer qu'à partir d'un certain moment, brasser de force des cultures qui n'ont rien de commun peut poser certains problèmes et qu'apporter des réponses adaptées sera salutaire pour tous, en premier lieu pour ces gens. 


Car à Sevran, il y a aussi en première ligne bon nombre de citoyens de toutes confessions qui ne demandent qu'à vivre paisiblement, dont les enfants aspirent à aller à l'école sans risquer de se prendre une balle perdue. Plus vite on aura passé ce cap, plus vite on pourra se concentrer sur les réels problèmes, économiques entre autres. Les zones de non-droit ne doivent plus subsister, ne doivent plus être excusées. Oui il y a des délinquants, et non ce n'est pas forcément parce qu'ils sont au chômage. C'est à se demander si cette situation de cocote minute permanente n'arrange pas le pouvoir en place, trop heureux de pouvoir ressortir son discours sécuritaire dans quelques mois. Le fait est que les discours ne suffisent plus, il faut des actes. Mais qui aura le courage de les prendre, et surtout: est-ce que l'angélisme a bel et bien disparu? Rien n'est moins sûr.

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