dimanche 21 août 2011

[Archive] L'imposture intellectuelle

Article publié à l'origine le 19/06/2011 sur Gamekult. Il est publié sous sa forme originale, la mise en forme n'est pas adaptée entièrement aux standards de ce blog.



En regardant la pitoyable prestation de Nathalie Kosciusko-Morizet hier soir dans l'émission de Laurent Ruquier, plusieurs sentiments se sont emparés de moi. Tout d'abord que l'on est pas prêts de revoir de tels échanges à la télévision l'année prochaine. En effet, Sarkozy ayant eu la peau d'Eric Zemmour et Eric Naulleau, qui sont ce qu'ils sont, la contradiction frontale et souvent intéressante n'est pas prête de subsister. J'en veux pour preuve le livre qu'est venu défendre NKM chez Ruquier, Le Front Antinational, un pamphlet censé nous expliquer pourquoi voter pour le Front National est au mieux une connerie, au pire une abomination. Dans tous ses autres passages télévisés, aucune contradiction ne lui a été opposée, elle a pu vendre sa lessive comme n'importe quel candidat de téléréalité sortant sa nouvelle merde musicale. 

Mon second sentiment, lié au premier, a été un profond malaise devant l'incompétence chronique de nos ministres. Je trouvais déjà que Nadine Morano représentait le degré zéro de la politique, avec une intelligence plus proche de la raie manta que d'un politique digne de ce nom. Qu'une prétendue Polytechnicienne sorte autant de contre-vérités, d'approximations et peine à tenir ses arguments plus de trois secondes est assez effrayant en effet. Je reviendrai sur le fond un peu plus loin, mais sur la forme elle est excessivement fragile, pur produit d'une époque où les ministres ne sont plus des hommes ou femmes politiques, mais des vitrines communicantes, rodées pour débiter inlassablement des éléments de langage et sans être formés au débat puisque le débat n'a pratiquement plus droit de cité à la télévision Française. Mon dernier sentiment, enfin, vient de son livre en lui-même. Si je doute fortement qu'elle l'ait écrit - ça ressemble davantage à une commande déguisée de l'Elysée histoire de ratisser à la gauche de l'UMP pendant que Guéant ratisse à droite - il n'en est pas moins bourré de contres-vérités et de lieux communs des plus affligeants. Je me retrouve une nouvelle fois à "défendre" le FN en apparence, mais en fait c'est plus l'inconsistance de sa charge que j'attaque, son livre n'étant que la suite logique de sa fragilité politique. Si Eric Zemmour a pour une fois assez bien démonté ses arguments, bien aidé par Eric Naulleau - pourtant de gauche, comme quoi son livre est une abomination qui n'a pas besoin par être attaqué exclusivement par des sympathisants de droite - je souhaiterais revenir sur quelques points. La sortie de l'Euro. C'est le point central.

Personnellement je n'ai pas encore d'avis sur la question. Comme beaucoup, j'ai une nostalgie pour le Franc, nostalgie qui va de paire avec une certaine idée de la France à cette époque, à une vie qui semblait pas chère, etc. La crise est passée par là depuis. Je m'étonne en premier lieu de l'argument choc de NKM qui nous prédit l'apocalypse à coup de "inflation" et "dévaluation", seuls deux mots qu'elle semble maîtriser pour se donner un semblant de consistance. L'Euro a dix ans et représente une goutte d'eau dans l'histoire économique de la France mais également de l'Europe, tant physique qu'économique. Comment pouvoir annoncer la bouche en coeur, récitant les éléments de langage Européistes, que l'on ne pourrait défaire une parenthèse de dix ans à peine sans que le monde ne s'ouvre soudain sous nos pieds? Le meilleur est atteint quand elle dit que si nous revenions en arrière nous payerions notre baguette de pain non plus trois francs, mais six ou dix francs. A ce moment-là elle explose en plein vol en révélant l'immense escroquerie qu'a été l'Euro. Zemmour a d'ailleurs été copieusement applaudi à ce moment précis, chose assez rare dans l'émission, les applaudissements "de commande" allant plutôt dans l'autre sens d'habitude. Pour rentrer un peu plus dans les considérations économiques, elle fait des raccourcis assez simplistes puisque la dévaluation est l'outil qui permet depuis toujours de sortir la tête de l'eau lorsque la pression de la dette devient trop pesante, à l'image de l'Argentine récemment. Apparemment elle oublie un pan entier de l'histoire économique. Elle parle également des niveaux stratosphériques des prix des logements, mais encore une fois si elle avait une quelconque compétence en la matière ou tout simplement un agent immobilier dans son entourage, elle saurait que ceux-ci sont la conséquence directe des taux qui sont beaucoup trop bas! De tels taux poussent les acquéreurs à s'endetter toujours plus, non plus sur 10 ans, mais sur 20 ou 30 ans. 

Et comme il y a pénurie de logements - donc une forte concurrence à l'achat - ça entraîne mécaniquement une forte hausse des prix, car tous les acheteurs concurrents sont simultanément solvabilisés. Les acquéreurs sont les grands perdants. Lorsque les taux remontent, les acheteurs ne peuvent plus suivre. Les vendeurs sont alors obligés de revoir leurs prétentions à la baisse, et ça fait baisser les prix. Une logique pourtant assimilable par un simple citoyen comme moi mais qui semble totalement échapper à une ministre de la République. J'allais continuer avec d'autres exemples similaires en me rendant compte dans mes recherches que de nombreux économistes eux-mêmes remettaient en cause le bien fondé de l'Euro: Paul Krugman, Maurice Allais (tous deux prix Nobel), François Asselineau,... Madame Kosciusko-Morizet se ridiculise donc dès le départ, masquant même sa gêne derrière une tonne de tics et de rictus qui n'ont rien à faire sur le visage d'une haute personnalité qui se devrait de maîtriser totalement son sujet. Mais le peut-on vraiment lorsqu'on n'a pas de conviction et que l'on se contente d'apprendre son texte quelques minutes avant de quitter les coulisses? Vient ensuite la critique sur le lien de parenté entre Marine Le Pen et son père. Ils font tous les deux de la politique, la belle affaire. Les bras m'en sont tombés sur cet "argument". A ce ryhtme, Martine Aubry-Delors devrait disparaître des radars. Pire encore, le cas des Kosciusko-Morizet, puisqu'après une rapide recherche sur Wikipédia:

Nathalie Kosciusko-Morizet est issue d'une vieille famille politique française, elle-même issue de la noblesse polonaise, les Kosciusko-Morizet. Elle parle d'ailleurs le polonais. Son arrière-grand-père, Charles Kosciusko, était le descendant direct de Józef Tomasz Kościuszko (1743-1789), frère aîné du patriote polonais Tadeusz Kościuszko1. 
François Kosciusko-Morizet (au centre de la photo) Elle est la fille du maire de Sèvres, François Kosciusko-Morizet, et de Bénédicte Treuille, enseignante. Elle est également la petite-fille de Jacques Kosciusko-Morizet, résistant gaulliste et ambassadeur de France, et l'arrière-petite-fille d'André Morizet, sénateur-maire communiste, puis SFIO de Boulogne-Billancourt.
Un peu gonflé effectivement. Comme le rappelait Zemmour, elle a été élue par les adhérents face à Bruno Gollnisch. Je suis persuadé que si l'UMP jouait le même exercice, Nicolas Sarkozy ne serait pas désigné comme candidat de l'UMP pour 2012. Quelques lieux communs plus loin, elle en arrive à la préférence Nationale, obscur concept qu'elle semble avoir parfaitement assimilé puisqu'elle en profite pour annoncer que la population Portugaise de France n'a plus qu'à faire ses valises. Ici aussi la mauvaise foi ou la tentative d'escroquerie est de mise puisque quelques clics permettent de se rendre compte que la préférence Nationale concerne... les Français. A priori c'est une mesure qui se veut égalitaire puisque dans ce concept la nationalité Française masque l'origine. La préférence aux Français est donc la préférence à la nationalité indépendamment de son origine. On peut être en désaccord avec ce concept, mais en l'état on est loin des chars sur les Champs Elysées, bon nombre de pays parfaitement démocratiques appliquant d'ailleurs ce concept. 

J'ai d'ailleurs été très amusé lorsque Eric Zemmour a voulu lui lire les positions du RPR en la matière dans les années 1980, années où la jeune militante de 20 ans s'est engagée auprès de la droite. Pour rappel: 

A la fin de l'année 1984, le Conseil de Paris a modifié les conditions d'attributions d'un certain nombre de prestations sociales facultatives distribuées par le Bureau d'aide sociale de la ville. Par délibération n°1984-1909 du 26 novembre 1984 (Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, délibérations, p.939), le Conseil de Paris adoptait ainsi le principe d'une allocation de congé parental d'éducation, l'article 5 de la délibération précisant que " le bénéfice de l'allocation de congé parental d'éducation est réservé aux parents de nationalité française.
Toutefois, si l'un des conjoints seulement est de nationalité française, l'allocation sera accordée si les trois enfants sont nés en France. Le conjoint étranger devra posséder la carte de résident ou un titre équivalent".
Le Maire de Paris et le groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale (dont, pour mémoire, Jacques Chirac, Michèle Alliot-Marie, Roselyne Bachelot, Edouard Balladur, Michel Barnier, Jean-Louis Debré, Bernard Debré, Nicolas Sarkozy, Jean Tibéri, François Fillon, etc.) déposera une proposition de loi visant à valider le dispositif de préférence nationale instauré par la ville (Proposition de loi de Jean-Louis Masson, RPR, du 11 avril 1990) :

Article 1er :
Dans le cadre de leur politique d'action sociale, les collectivités
territoriales ont la faculté de créer des prestations complémentaires d'aide
sociale.

Article 2 :
Les collectivités territoriales définissent librement les conditions d'
attribution des prestations visées à l'article premier : ces conditions
peuvent être notamment relatives à la durée de résidence des bénéficiaires
éventuels sur le territoire de la collectivité intéressée, au montant de
leurs ressources ou à leur nationalité.
La teneur de la proposition de loi se passe de commentaires. Le texte fut
rejeté par la gauche, alors majoritaire.

Et une petite louche supplémentaire avec Edouard Balladur: 



Invité du Grand jury RTL-le Monde, le 14 juin 1998, Edouard Balladur aplaidé pour la constitution d'une commission chargée d'étudier la
"préférence nationale", incluant des personnalités représentatives du Front
national. Tout en ayant soin de présenter cette idée comme une méthode pour"éclairer l'opinion publique" et pour clore un dossier récurrent, l'ancienPremier ministre a posé la problématique en ces termes : "est-il normal ouanormal, légitime ou contraire aux principes républicains traditionnels deréserver certaines prestations aux nationaux et de les refuser -pour unedurée, d'ailleurs à déterminer- aux résidents étrangers ?"...Dans son ouvrage "Douze lettres aux Français trop tranquilles" (Fayard éd.,1990), Edouard Balladur fournissait sa réponse à sa question : "Il me semblequ'il serait légitime de distinguer, parmi ces dernières [les prestationssociales], celles correspondant à des cotisations payées, selon le systèmede l'assurance, de celles correspondant à la mise en oeuvre par l'Etat oules collectivités locales d'une solidarité nationale. Aux premières, tousceux qui travaillent et paient des cotisations doivent avoir droit ; lessecondes, en revanche, pourraient, dans certains cas et sous certainesconditions, être réservées aux nationaux. Il faudrait en outre renforcer lesmoyens financiers de notre politique familiale, développer les garanties etles aides publiques en faveur des femmes qui ayant eu des enfants,souhaitent reprendre l'exercice d'une profession, et réserver le bénéfice detoutes celles ne consistant pas en allocations familiales -dont lacontrepartie est le versement de cotisations- aux Français comme auxnationaux des autres pays de la Communauté...
Nathalie Kosciusko-Morizet semble donc avoir la mémoire sélective et ne pas se souvenir d'où vient son parti et occulte même totalement la présence de personnages tels que Claude Guéant, Brice Hortefeux, Eric Ciotti ou Christian Vanneste, pour ne citer que ceux-là. Comme l'a dit Eric Naulleau, ce livre semble avoir été écrit par un socialiste nourri au sein d'SOS Racisme et débitant des lieux communs qui ne font plus mouche en 2011 à l'heure où les classes moyennes dites de gauche se ruent en masse vers le FN. On peut considérer que plutôt que d'agiter sans cesse les mêmes épouvantails éculés on ferait mieux de répondre au FN comme avec n'importe quel autre parti politique: avec des arguments. Malheureusement avec ce livre Marnine Le Pen peut dormir tranquille car que ce soit sur l'Europe, l'immigration ou les autres sujets, NKM n'a fait qu'étaler sa bêtise sans fournir un seul instant le début d'une réponse probante. Elle peut néanmoins se rassurer: dès la rentrée elle n'aura plus à passer par cet exercice effroyable qu'est le débat puisque la TV aseptisée va pouvoir retrouver ses Audrey Pulvar et Alain Duhamel qui ne manqueront pas de faire ce qu'ils font de mieux: passer les plats.
Heureusement il restera un peu de contradiction, mais celle-ci n'ira que dans le sens de la bien bienpensance du moment: les Caroline Fourest et autres intellectuels du dimanche pourront continuer à nous abreuver de leur indignation sélective, celle qui va dans le sens du vent et qui critique en apparence le pouvoir mais pas trop non plus car de nos jours critiquer le pouvoir est un peu critiquer l'opposition aussi. Merci en tout cas Laurent Ruquier, un grand moment de télévision, par contre je ne te remercie pas de t'être incliné (si je puis dire) de la sorte devant les désidérata de Rémy Pflimlin, Président de FTV. Quitter ton émission avec les deux Eric aurait eu plus de panache. Pour la petite histoire d'ailleurs, virer le journaliste de droite mais également celui de gauche montre bien que ces deux partis marchent main dans la main et qu'au delà des prises de positions de chacun, on ne veut vraiment aucune vague pour 2012. Puisse la blogosphère animer un peu cette campagne qui s'annonce bien lisse.




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